Syndicaliste pour le trafic aérien au SSP, Jamshid Pouranpir a été sous les projecteurs lors de la grève de l’été dernier à l’aéroport de Genève. La lutte du tarmac n’est pas la seule qui l’anime. Exilé, il a les yeux rivés sur la résistance iranienne
Dans les couloirs blafards de l’aéroport, Jamshid Pouranpir est connu comme le loup blanc. Sous les rugissements des avions, le syndicaliste du SSP sait qu’il ne travaille pas en terres amies, encore moins après les deux grèves organisées en 2023. La première en juin dernier, historique car elle a mobilisé les employés de l’aéroport de Genève, et non ses sous-traitants, l’a fortement médiatisé. Après 138 liaisons annulées lors du pic des départs estivaux, les grévistes et la direction se sont finalement mis d’accord: la grève a été levée en échange du report de la réforme de la grille salariale au 1er janvier 2025. Preuve que Jamshid Pouranpir a le sens du timing, la seconde a eu lieu le 24 décembre 2023. L’entreprise qatarie Dnata cède et accorde une augmentation salariale de 3%, des primes et la signature d’une convention collective de travail (CCT) à ses employés.
A 64 ans, il se montre toujours aussi offensif dans son action syndicale. Lui préfère les termes de «syndicalisme de mobilisation». «La grève ne peut être que la paralysie des opérations, défend-il. Les employés ont visé leur employeur, non les passagers. Je veux bien débrayer à 2h du matin pour ne pas pénaliser les voyageurs… mais je doute que ce mouvement aurait été aussi efficace.» Interrogé sur les rapports entretenus avec le syndicaliste, l’aéroport de Genève n’a pas souhaité s’exprimer. Une phase de médiation avec les partenaires sociaux est en cours depuis la grève du 30 juin.
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### Résistance iranienne
A l’inverse, Jamshid Pouranpir est plutôt loquace. Le ton parfois impétueux, le crâne glabre et les sourcils expressifs, il s’insurge contre «la privatisation rampante de l’aéroport» et se dit prêt à «retrousser les manches» face à l’arrivée de l’ex-conseiller national PLR Christian Lüscher à la présidence du conseil d’administration de l’aéroport.
S’il s’épanche avec véhémence sur les affaires aéroportuaires, un autre sujet déclenche un flot irrépressible de paroles: la résistance en Iran, pays qui l’a vu naître. Il a suivi de près la mort de la jeune Mahsa Amini le 16 septembre 2022, arrêtée par la police des mœurs, et le soulèvement qui s’en est suivi. «J’ai cru que le régime allait tomber, j’avais beaucoup d’espoir. Je disais à ma fille: «On achète un billet d’avion?» Une nouvelle fois, je me suis trompé», admet-il, las. Il fonde avec plusieurs militantes le comité unitaire irano-suisse, fait du lobbying, rédige un manifeste, et organise un système de parrainage de prisonniers condamnés à mort en Iran pour avoir manifesté.
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Jamshid Pouranpir est né dans une famille de la classe moyenne à Arak en 1960, ville ouvrière de l’ouest de l’Iran. Il quitte le pays la première fois en 1979. Cette année-là, quelques mois après le renversement du régime du shah et la prise du pouvoir par l’ayatollah Khomeini, il prend l’avion de Téhéran pour poursuivre ses études à Pérouse, en Italie. Son parcours universitaire se transforme en exil le jour où l’ambassade d’Iran à Rome refuse de lui renouveler son passeport, au motif qu’il milite au sein d’une organisation «d’obédience un peu guévariste», explique-t-il: l’Organisation des Fedayin du peuple iranien, assimilée au Parti socialiste. Les autorités iraniennes le somment de rentrer à Téhéran pour refaire ses papiers. «Un signal. Mes parents m’ont demandé de rester en Italie, car, en Iran, les opposants politiques étaient arrêtés les uns après les autres.»
Passant du statut d’étudiant à celui d’exilé, il part à Paris car les Français, contrairement aux Italiens, accordent l’asile politique aux Iraniens. Là, il rencontre une Suisse allemande lors d’un cours de langue à l’Alliance française. Il la suit à Berne, puis à Fribourg, où il obtient une licence en lettres et en communication. Il travaille ensuite pour le CICR, qui l’envoie comme traducteur dans les prisons afghanes, le dari, l’une des langues officielles afghanes, ayant des similitudes avec le persan. Il est ensuite dépêché, toujours dans le secteur détention du CICR, comme délégué francophone au Rwanda. Une expérience éprouvante: «On ne sort pas indemne de ces visites auprès de personnes prisonnières dans des conditions de vie déplorables.»
### Débuts dans le syndicalisme
La naissance de sa fille le pousse à quitter ces longues missions à l’étranger. Il trouve son premier poste dans un syndicat, à Unia, comme secrétaire chargé du commerce de détail. A l’évocation de cet emploi, ses yeux s’illuminent. «Il y avait des conventions collectives de travail à négocier, des mouvements de mobilisation à organiser. Je me suis passionné pour le droit du travail à ce moment-là.» Il rejoint le SSP en 2014, après avoir été licencié d’Unia. Il attaque en justice le syndicat et le tribunal reconnaît le caractère abusif de son licenciement.
Quant à l’Iran, il a attendu quinze ans après son départ pour y retourner, lors de voyages entre 1994 et 2000, profitant d’une politique plus tolérante à l’égard des opposants politiques. Mais depuis, il n’a jamais repris de billet d’avion par peur d’être inquiété par la police, et l’au revoir s’éternise.
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### Profil
**1960** Naissance à Arak, à 3 heures de route à l’ouest de Téhéran.
**1984** Refus de renouveler son passeport iranien à Rome.
**1996** Naissance de sa fille Pardis, qui signifie «paradis» en persan.
**2000** Entrée dans le syndicalisme avec un premier poste à Unia, à Genève.
**2022** Assassinat de Jina Mahsa Amini en Iran et soulèvement populaire.
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